J’espère que vous avez déjà empaqueté votre kit de survie ! A moins que vous n’attendiez tous les détails à connaître, dans le livret de survie qui sera en principe envoyé cet été à tou.te.s les français.es. Pour se préparer à la guerre ou aux catastrophes industrielles et naturelles, dues aux réchauffement climatique, le gouvernement enjoint les citoyens à être prévoyants.
Dans son « kit de survie », il préconise de glisser quelques indispensables : de l’eau potable – six bouteilles par personne -, une lampe de poche, une trousse de premiers secours, des denrées non périssables telles que des boîtes de conserve, sans oublier une radio à piles pour se tenir informé et un jeu de cartes pour ne pas s’ennuyer. Être « autonome » pendant trois jours est la consigne.
Je ne sais pas vous, mais, à La Bastardière, en matière de résilience face aux crises, on a d’autres sources. Et d’autres ressources…

Au lieu du livret gouvernemental, nous vous proposons des lectures plus copieuses. A commencer par les 482 pages de l’enquête ethno-comptable de la sociologue Geneviève Pruvost « La subsistance au quotidien ». En étudiant au jour le jour la vie d’un foyer de jeunes alternatifs paysans-boulangers, elle y décrit comment vivre bien et de peu sur un lopin.
« Un tel mode de vie n’a rien de simple ou d’individuel », précise-t-elle. Pour être multitâche dans un habitat-atelier-terrain multifonctionnel, en effet, il faut beaucoup travailler et cumuler des compétences techniques et relationnelles. Cela implique de « couvrir collectivement des domaines d’activité et d’interaction très divers ». Si bien qu’une « grande importance est accordée à la sociabilité qui n’est jamais détachée de l’échange d’objets ou de bons tuyaux », a-t-elle constaté.
En cela, Geneviève Pruvost démonte plusieurs des arguments récurrents anti-autonomistes que les cornucopiens, technofans et autres gentils réactionnaires avancent fréquemment. Les « autonomes », qu’ils soient plutôt babos, punks ou les deux, seraient des fainéants, égo-centrés, isolés, détachés du commun, du collectif…
Fabien Hein et Dom Blake, dans leur livre « Ecopunk » avaient déjà mis en avant une toute autre histoire : par la création de zones autonomes temporaires dans les villes, ou la recherche de l’autonomie en milieu rural, « les punks ont su détecter et s’approprier avant l’heure de nouvelles formes de résistance à l’ordre néolibéral triomphant. Du véganisme à la permaculture, de la défense des animaux contre l’industrie agroalimentaire à celle de la nature face à la prédation techno-industrielle… » La contre-culture punk autonomiste, et en particulier son courant anarcho-punk, a eu, depuis plus de trente ans, une influence décisive dans la diffusion de représentations et de modes d’actions politiques et environnementales…

S’il y a des lutte frontales, il y a des luttes feutrées. Geniève Pruvost les décrit ainsi : il s’agit de s’implanter dans des régions où le prix du foncier est encore abordable, en changeant radicalement de pratiques consuméristes pour augmenter le travail de subsistance, participer à des réseaux alternatifs d’entraide et de commerce local, investir la sphère associative et les réseaux professionnels de l’agriculture, de l’artisanat, de la médecine alternative… Si à priori assurer son autosuffisance ressemble à une politique « de la parcelle », cette conquête de lieux où se bricole une vie en circuit court, dessine aussi une politique de résilience collective.
Une partie des luttes se mènent donc à bas bruit via les acquisitions foncières : on soustrait morceau par morceau des bouts de terrains à l’agro-industrie, à l’emprise du terrassement, à la dépendance au consumérisme…
L’une des grandes difficultés tient au fait que ce sont les savoirs détachés des milieux de vie qui ont été érigés en modèle de développement. C’est bien pourquoi le gouvernement, pour assurer notre survie, nous parle d’acheter de l’eau en bouteille et des chinoiseries…
Rob Hopkins, le père du mouvement britannique des villes en transition, dit d’ailleurs cela des occidentaux : aujourd’hui, ils sont la génération la plus inutile que la terre a abritée (en terme d’aptitudes pratiques). Le monde capitaliste moderne a bel et bien rendu obsolète une foule de savoir-faire qui étaient très communs autrefois mais dont la quasi totalité d’entre nous n’avons plus besoin.
Stimuler le pouvoir d’agir de ces « ignorants » reposent donc en grande partie sur de l’apprentissage. « C’est faire en sorte qu’ils se réapproprient des savoirs et des savoirs-faire dont ils auront probablement besoin dans le monde post pétrole qui nous attend », développe Grégory Derville dans « Réussir la transition écologique ». Derville se réfère à ce que le mouvement de la transition appelle « la grande requalification » : un besoin général de réapprendre, pour vivre ensemble et en autonomie sur un territoire…

Rassurez-vous, le chapitre « Engagez-vous » du futur livret estival de survie du gouvernement, incitera aussi les citoyens à s’impliquer dans « des actions collectives ». Mais pas les mêmes que celles dont on parle ici ! Il appellera en effet : « à rejoindre les réserves militaires et sanitaires »…
Quand vous le recevrez, faîtes en plutôt des pisse-debout en origami ! Comme à la Bastardière, vous pourrez alors récolter toutes les urines pour fertiliser votre potager vivrier. Puis enseigner à votre tour cette technique dans votre quartier…