Ses racines se divisent, puis se subdivisent, pénétrant profondément le sol.
Chacune des racines principales porte le nom d’une « orientation » qui mène à plusieurs formes d’« actions ». On suit ces ramifications jusqu’au bout de radicelles où des mots clés, de plus en plus précis, définissent plus explicitement des façons d’agir.
J’ai reçu un poster de l’« arbre aux actions » des Racines de la résilience. Son dessin interpelle : « Où est-ce que je me situe dans tout ça ? », se dit-on en le parcourant du regard.
Je lis les étiquettes des grosses racines :
« Valoriser », « Rationner » , « Transmettre» , « S’entraider », « Désobéir », « Déconstruire » …
D-E-C-O-N-S-T-R-U-I-R-E ! En regardant le labyrinthe des racines, j’ai senti que c’est ce mot là avait à voir avec une faiblesse.
Déconstruire est essentiel quand on entend transitionner. Parce qu’on ne peut vivre différemment, sans changer de valeurs. Et parce qu’on ne peut résister aux critiques sans être sûr de ces nouvelles valeurs.
Les déserteurs, les décroissants, et tous ceux qui expérimentent des formes de vie plus autonomes et alternatives, font (et vont faire) face aux sarcasmes, à l’agressivité et à la répression, de plus en plus souvent. Alors que ces personnes travaillent à construire une vie plus écologique, elles supportent les regards ironiques sur leurs activités sans code APE, et subissent la politique de droite et d’extrême droite nationale qui sacralise une certaine idée du travail au service du capital, tout en écrasant tout ce qui avait pour valeur la fraternité.
Dans ce contexte, si les transitionneurs ne déconstruisent pas eux-même leur propre imaginaire, ils se retrouvent pris au piège: les critiques et les mesures de la société contre leur marginalité finissent éventuellement par les déprimer. Ils se dé-estiment, voire abandonnent, à moins qu’ils n’arrivent à se renforcer et se radicaliser.
En réfléchissant à tout cela, je suis tombée par hasard sur le mémoire de Jules Colé. Merci Jules ! En master, en 2022, il a publié un document dans lequel j’ai plongé devant un feu de bois hivernal. Son titre : « Comment faire évoluer nos imaginaires, pour changer nos relations au monde vivant et aller vers un monde soutenable et harmonieux »
Jules Colé nous rappelle ce prémisse : Pour que les sociétés puissent exister, les êtres humains établissent des codes sociaux et des normes sociales. « Les codes sociaux permettent d’identifier son appartenance à un groupe (par exemple, le costume cravate pour les hommes d’affaires). Les normes sociales portent sur des conduites et des comportements ainsi que sur des jugements de valeurs, des croyances, des opinions. Elles définissent les manières d’être, de penser ou d’agir qui sont socialement acceptables et conformes aux attentes de la société ». Ces normes s’appuient également sur notre besoin de statut social et de reconnaissance.
En effet, remarque Jules, par leurs caractères coercitifs, les normes sociales exercent une contrainte sur les individus en s’imposant à eux, les poussant à se conformer, et stimulant ainsi le mimétisme comportemental.
Ce raisonnement de Jules, m’a fait immédiatement penser au livre d’Hervé Kempf « Comment les riches détruisent la planète » dans lequel l’auteur nous dit, en gros, que si les riches détruisent la planète par leur vie de riche, les classes inférieures rêvant par mimétisme de devenir aussi riche, deviennent aussi destructrices…
« Or- je cite les paroles de Jules – les normes sociales du monde moderne sont aujourd’hui insoutenables, puisqu’elles vont dans la grande majorité à l’encontre du vivant, en soutenant des pratiques extractivistes, consuméristes et prédatrices. Il est aujourd’hui encore socialement acceptable de se déplacer dans une voiture individuelle de deux tonnes, de manger de la viande à tous les repas ou de changer de garde-robe à chaque nouvelle saison. Dès lors, comment réinventer de nouvelles normes sociales plus vertueuses, au profit de la vie ? »
Pour faire face aux crises écologiques et changer de paradigme, une révolution des normes est incontournable. Du journalisme et de la publicité aussi. J’ai été journaliste. Et j’en suis très consciente : les médias main stream véhiculent des représentations qui valorisent ces normes.
Le chapitre de Jules sur le triomphe de la technique mérite de s’y attarder un instant : « La Technique, initialement perçue comme outil d’émancipation des servitudes imposées par la Nature, finit par devenir une nouvelle source de servitude pour l’Homme… Ce finalisme technique nous mène à la recherche effrénée du progrès technique (qui ne signifie pas nécessairement progrès social), à l’accélération perpétuelle (nous rendant toujours plus indisponibles) qui nous enferme dans un “solutionnisme techno-scientiste” ».
Vive la low tech !, répond-t-on à la Bastardière. L’imagination, comme l’agriculture, ont besoin de (bio)diversité !
Je me demande avec Jules : Comment faire évoluer nos imaginaires ? « L’exploit du libéralisme et du capitalisme a été de nous faire croire que la compétition, l’agression et l’individualisme étaient des modes d’organisation naturels et spontanés du monde vivant (reléguant l’entraide dans une invention de la civilisation occidentale, ou à une série d’actes exceptionnels) »… intégrant les mythes de la croissance infinie et de l’expansionnisme humain, ou encore le récit consumériste qui associe le bonheur à la (sur)consommation .
L’un des enjeux de la révolution des imaginaires consiste à retrouver l’émerveillement, selon Jules. « Car le délitement de cette sensation révèle quelque chose de très important : le fait qu’aujourd’hui, nous sommes tout simplement aveugles à la magie de la vie ».
Pour avoir vécu avec des Amérindiens, je comprends à peu près ce que veut dire Jules. Mais je préfère à cette idée creuse de « magie de la vie », lire ou écouter le philosophe Baptiste Morizot. Il va plus loin dans l’idée de déconstruire le mythe humaniste de la modernité qui sépare l’homme du reste des animaux et qui envisage comme voie suprême de maîtriser la nature.
S’il est temps d’éprouver à nouveau de l’émerveillement devant un vol de pigeon (je vous renvoie à mon dernier post), déconstruire nos imaginaires, c’est surtout, selon moi, se blinder face aux cons et continuer à construire des alternatives, hors des normes capitalistes, expérimentant de nouvelles valeurs, en restant imperméables à celles que ce vieux monde devrait mettre au compost…
Tout à fait d’accord avec vous… Bon et Bel Jour Né !