Mes mots : des semis

J’ai les ongles noirs. Ma feuille blanche est la terre. Mon encre, l’eau de mon arrosoir. Mes mots : des semis. Ils ont du mal à démarrer, parfois ils meurent, mais quand ils partent, ils poussent, ils poussent et ils faut alors les tailler, les contenir. Je ne suis plus journaliste, je suis jardinière.

Après quatorze ans de voyages à la voile, de journalisme nomade, Daniel et moi avons retraversé l’Atlantique et vendu notre bateau, pour acheter une ferme en ruine et un grand champ. Nous étions marins et pigistes, reporter et photoreporter. Notre vie a radicalement changé. Nous ne sommes plus nomade, nous sommes sédentaires, ancrés les pieds fermes dans la microferme la Bastardière.

Plus de deux ans ont passé. Deux années sans barouder, à rénover, à cultiver. Avec mes cheveux gris ébouriffés je dois un peu ressembler à cette ancêtre qui, un jour, s’est arrêtée d’errer, de cueillir, de chasser, pour semer. Auparavant, elle allait, elle marchait, elle cherchait de quoi manger vêtue de sa peau de bête. Elle reniflait nez au vent, comme quand j’étais sur mon bateau. J’envoyais les voiles vers un ailleurs incertain en quête d’autres sujets d’enquête à traiter.

Aujourd’hui, dans une vieille armoire récupérée, vite dépoussiérée, j’ai empilé plus d’une centaine de bocaux : courgettes/curry, courgettes/citron, courgettes/menthe, courgettes/tomates, ratatouille, haricots, tomates pelées, betteraves. Sans compter les petits pots de coulis de tomates et les gros pots de cornichons. Je contemple ceux qui ont de belles étiquettes. Il faudra deviner le contenu des autres. A raison d’un bocal par jour, nous tiendrons les trois mois d’hiver.

Planter, récolter, cuisiner, empiler des réserves… je suis fatiguée. Si le ridicule tuait, je serai couchée raide morte auprès de mes courges, me dis-je. Quand on est cigale, il faut du temps pour devenir fourmis.

Première résolution pour ne pas s’exténuer en travaux physiques : lire. Lire les journaux comme avant… Dans le nord de la France, les producteurs de pommes de terre sont désemparés. « [À cause] des fortes chaleurs, les croissances se sont stoppées. Les pommes de terre ont arrêté de pousser », témoigne sur France 2 un agriculteur des Hauts-de-France devant ses plants grillés par le soleil. « Une situation inquiétante, quand on sait que sa région produit à elle seule 60 % des pommes de terre du pays », remarque le web-journal Reporterre.net « …Il n’y aura pas suffisamment de pommes de terre pour satisfaire l’ensemble de la demande », d’après Libération.

Dans la grange restaurée qui nous sert d’habitat, des cagettes de patates sont empilées le long du mur en terre et en paille. Combien de kilos ? Pas loin de 150… Les pénuries donnent du sens à notre nouveau projet d’autonomie.

Depuis la naissance de l’écologie politique, des penseurs ont prôné autre chose que l’intégration à la société de consommation. A commencer par Henry David Thoreau. Une vieille édition de son récit « Walden ou la vie dans les bois » trône dans notre bibliothèque. Le livre est passé du bateau à la ferme. « Au nom d’un soit-disant destin communément appelé nécessité, [les Hommes] s’emploient à amasser des trésors que les mites et la rouille rongeront et que les voleurs déroberont…, écrit le philosophe… C’est une vie insensée… Quand l’homme a résolu l’indispensable : la nourriture, l’abri, le vêtement, le combustible, il y a une autre alternative que de se procurer les superfluités, c’est de s’aventurer dans la vie présente ».

Nous n’avons plus de bateau, mais nous repartons à l’aventure : celle de ce bon vieux Thoreau. Dans la cabane où il vécu en 1850, sa recherche d’auto-subsistance lui servait déjà à ne plus s’aliéner à un système économique destructeur. Notre vie présente. Comme une nouvelle traversée. Avec un nouveau blog…

La publication a un commentaire

  1. Bonjour
    « Quand l’homme a résolu l’indispensable…. C’est de s’aventurer dans la vie présente  » henry David Thoreau .
    Qu’implique cette dernière expression ? Peut être de méditer sur notre nature spirituelle voire divine.
    Simple proposition….

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